Les parcs transfrontières: des atouts pour la paix et la conservation de la nature

4 mars 2003, Gland, Suisse et Yokohama, Japon (UICN/OIBT)

L'extension du réseau mondial des aires de conservation transfrontières (ACTS) devrait constituer une priorité pour les défenseurs de la nature et les gouvernements, selon un groupe d'experts réuni le mois dernier à Ubon Rachatani (Thaïlande).

Les ACTS sont conçues pour protéger les écosystèmes et leurs faune et flore sans que n'intervienne le tracé des frontières politiques qui traversent leur périmètre. Mais elles ne font pas que cela. On constate en effet de manière de plus en plus nette que les ACTS permettent beaucoup plus que la seule amélioration de la conservation de la biodiversité: elles aident à hâter la réconciliation dans le cas de différends frontaliers, à réunir les familles et les groupes ethniques séparés par le découpage des frontières entre États, et procurent aux populations qui s'y trouvent incluses des avantages sociaux, parmi lesquels un régime foncier qui garantit leur présence sur ces territoires.

Reconnaissant les avantages potentiels des ACTS, l'Organisation internationale des bois tropicaux (OIBT), l'UICN (Union mondiale pour la conservation de la nature) et le gouvernement de Thaïlande ont accueilli un atelier pour examiner les manières possibles d'améliorer l'efficacité des ACTS et d'en étendre la couverture. L'atelier a réuni environ 90 professionnels de la conservation transfrontière et des responsables de 26 pays.

Le nombre des ACTS s'est rapidement accru au cours des 15 dernières années, en passant de 59 en 1988, principalement concentrés en Europe et en Amérique du Nord, à 169 en 2001 répartis dans toutes les régions du monde. Le programme ACTS de l'Organisation internationale des bois tropicaux couvre par exemple quelque dix millions d'hectares dans neuf pays tropicaux. Il reste néanmoins de nombreux écosystèmes fragiles traversés par des frontières internationales que rien ne protège, et qui présentent un défi en même temps qu'une opportunité à la communauté internationale.

Selon M. William Jackson de l'UICN, le fait que les ACTS recèlent ces atouts en plus de la conservation de la biodiversité explique bien leur multiplication actuelle et la réussite qui les couronne.

"Les problèmes géopolitiques et de sécurité nationale ont détourné l'attention de l'enjeu que constitue le maintien des richesses biologiques et culturelles" a-t-il affirmé. "Dans ce climat politique, la conservation transfrontière mérite toute notre attention car elle offre la possibilité d'apporter la paix dans des régions frontalières troublées, tout en jouant un rôle essentiel dans la protection des espèces, des écosystèmes et des cultures menacés".

Plusieurs intervenants ont souligné l'importance de s'engager politiquement en faveur de la conservation transfrontière, non seulement par la création de nouveaux ACTS mais aussi en assurant le maintien à long terme de ces réserves.

"En l'absence d'un appui politique permanent, de nombreux programmes de conservation transfrontière sont appelés à péricliter et à disparaître" a déclaré M. Paul Chai du Sarawak.

Selon le professeur Chai, le Sarawak a eu la chance de bénéficier d'un appui de haut niveau à ses ACTS. L'office des forêts du Sarawak (Sarawak Forestry Department) administre déjà un ACTS sur l'île de Bornéo en collaboration avec le gouvernement indonésien et avec l'assistance financière de l'OIBT. Le député parlementaire malaisien M. James Mamit a en outre annoncé durant l'atelier que le gouvernement de Malaisie et le Ministre en chef du Sarawak soumettront à l'OIBT la proposition de créer un nouveau ACTS à Bornéo.

Ce nouveau périmètre protégé occuperait r 165 000 hectares sur le territoire du Sarawak qui borde la frontière, et serait contigu avec le parc national Kayan Mentarang situé dans la province indonésienne d'Est Kalimantan, ce dernier ayant aussi bénéficié d'un concours de l'OIBT dans sa création et sa gestion. Les populations Kelabit locales, qui ont exprimé leur adhésion à ce concept, seront parmi les premières parties prenantes qui, en collaboration avec les administrateurs du parc national, détermineront la gestion de l'ACTS à l'échelon du terroir. La création de cet ACTS améliorera la protection de plusieurs espèces menacées dont le faisan Bulwer, le léopard à pelage marbré et le rhinocéros de Sumatra, tout en apportant des réponses aux problèmes de niveau de vie que connaissent les populations locales et en augmentant la coopération transfrontalière dans la lutte contre les trafics et l'immigration clandestine.

L'atelier a été informé d'une initiative de conservation transnationale sur la frontière entre la Thaïlande, le Cambodge et le Laos. Les activités transfrontalières dans cette zone se sont récemment réduites après la survenue d'un litige aux échos retentissants entre la Thaïlande et le Cambodge.

Pour le prof. Jackson, "de tels emballements ne font que mettre en relief l'importance des ACTS dans l'amélioration des relations aux zones frontalières, de sorte que lorsque les tensions politiques montent d'un cran, les populations de ces régions n'aient pas à en pâtir".

L'atelier a entendu des comptes rendus de projets de conservation transfrontière ayant porté leurs fruits en Afrique du Sud, et cette idée fait son chemin aussi en Afrique centrale. C'est ainsi que Monsieur Henri Djombo, Ministre des Forêts de la République du Congo présent à l'atelier, a annoncé l'intention de son pays de lancer une nouvelle initiative de conservation transfrontière en partenariat avec le Gabon, qui complètera les autres initiatives en cours dans le cadre de partenariats conclus avec le Cameroun et la République Centrafricaine.


Monsieur le Ministre Djombo a toutefois fait observer que l'Afrique manquait de ressources humaines, financières et techniques pour mettre effectivement en oeuvre les ACTS. Il a rappelé que, entre autres organismes, l'OIBT, l'UICN et le Fonds mondial pour la protection de la nature dispensent au Congo une assistance technique et financière précieuse, qui aidera le pays à édifier ses capacités pour gérer les projets ACTS, mais qu'une assistance plus ample et soutenue était nécessaire pour assurer la pérennité à long terme de ces initiatives.

Les participants à l'atelier ont adopté une déclaration sur les ACTS, reproduite ci-après. Ils ont aussi proposé que des messages clés soient transmis au Congrès mondial des parcs naturels, qui doit se tenir à Durban (Afrique du Sud) en septembre 2003.

Déclaration de l'atelier OIBT-UICN sur l'accroissement de
l'efficacité des aires de conservation transfrontières dans les forêts tropicales
Ubon Ratchathani (Thaïlande), 17–21 février 2003


La présente réunion reconnaît la valeur des aires de conservation transfrontière comme mécanisme essentiel de conservation et d'exploitation durable de la biodiversité, en particulier dans les forêts tropicales et d'autres écosystèmes vulnérables.

La réussite des ACTS est davantage probable à long terme si elles répondent aux objectifs sociaux et économiques en même temps qu'à ceux de la biodiversité. Au nombre des avantages sociaux peuvent figurer un régime foncier garanti pour les communautés, le renforcement des cultures locales, la mise en place de mécanismes de participation aux décisions et une aide à la réconciliation et au renouveau des liens culturels après un conflit.

Les ACTS peuvent englober toute une gamme d'initiatives de conservation de la nature portant sur des périmètres protégés et leurs territoires interstitiels en créant des liens écologiques et des perspectives de développement adaptés dans le cadre local et national.

La réunion rend hommage à l'OIBT pour son rôle dans l'appui apporté à la conservation transfrontière sur plus de 10 millions d'hectares de forêts tropicales humides, et préconise que, dans l'intérêt de la conservation de la biodiversité et pour un partage équitable des avantages avec les collectivités locales et les communautés nationales dans les régions frontalières, l'OIBT et d'autres organisations fassent que l'engagement en faveur de la conservation transfrontière s'intensifie.

Toute entreprise transfrontalière réclame des outils et des stratégies particuliers grâce auxquels la coopération peut produire des avantages qui compensent largement ses coûts. La réunion préconise que l'UICN prolonge son concours au programme de travail de l'Équipe spéciale sur les ACTS, et que les spécialistes des aires protégées se dotent d'un réseau d'apprentissage des ACTS régionales qui s'enrichisse des acquis de l'expérience et élabore des moyens et méthodes utiles à une gestion effective des ACTS. Les enseignements ainsi dégagés devraient être diffusés aux administrateurs et aménagistes des aires protégées ainsi qu'à des publics moins traditionnels.

Tout plus ample développement des ACTS réclame une forte adhésion du public, la poursuite des échanges de vues et d'expérience au niveau des régions et, peut-être, un cadre international qui lui soit favorable.

Pour toute organisation d'entretiens avec M. William Jackson, contacter: Sue Mills, IUCN – The World Conservation Union, Tel: +41 22 999 0292; E-mail: susan.mills@iucn.org; Web: www.iucn.org.

Pour plus d'informations sur le programme ACTS de l'OIBT, contacter: Alastair Sarre, editor@itto.or.jp; Tel +81–45–223 1110; www.itto.or.jp